L’administration fiscale a récemment explicité la nouvelle procédure, dite « mini-abus » de droit fiscal, qui lui permettra, à partir de 2021, de considérer comme abusifs les opérations et des actes réalisés dans un but principalement fiscal.
La loi de finances pour 2019 a, en effet, introduit dans le droit fiscal une procédure permettant à l’administration fiscale d’écarter, au motif qu’ils sont abusifs, des montages réalisés dans un but principalement fiscal, même si ceux-ci respectent à la lettre un texte ou une décision. Le dispositif vise les actes passés ou réalisés depuis le 1er janvier 2020 et pourra être mis en œuvre aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021.
En pratique, l’instauration du nouveau dispositif aboutit à un « abus de droit à deux étages », l’administration pouvant fonder maintenant ses redressements sur l’existence d’un montage ayant :
- soit un but exclusivement fiscal, au sens de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (LPF), représentant le dispositif de droit commun,
- soit un but principalement fiscal, au sens du nouvel article L. 64 A du LPF.
Les deux procédures ont la même finalité, celle d’écarter les actes fictifs. Cependant, la seconde a, aux yeux de ses contradicteurs, un champ d’application considérablement élargi. Pour autant, dans sa documentation de base mise à jour fin janvier, l’administration rassure : l’une et l’autre des deux procédures « n’ont pas pour objet d’interdire au contribuable de choisir le cadre juridique le plus favorable du point de vue fiscal pourvu que ce choix ou les conditions le permettant ne soient empreints d’aucune artificialité ». En outre, la nouvelle procédure, contrairement à la procédure de droit commun, « ne permet pas d’écarter un acte au seul motif qu’il est fictif ».
Conditions d’application
Les actes que l’administration peut écarter sont des actes écrits ou non écrits (bail verbal, par exemple), qu’ils soient unilatéraux, bilatéraux ou multilatéraux : il s’agit en pratique de tout acte ou fait qui manifeste l’intention de son auteur et produit des effets de droit.
La démonstration d’un abus de droit, qu’elle vise à sanctionner des actes à but exclusivement ou principalement fiscal, nécessite la réunion de deux éléments :
- un élément objectif : l’utilisation d’un texte à l’encontre des intentions de son auteur ;
- un élément subjectif, c’est-à-dire la volonté, exclusive ou principale selon la procédure engagée par l’administration, d’éluder l’impôt.
Critère objectif : l’application littérale des textes
En premier lieu, pour invoquer l’abus de droit, l’administration doit démontrer que l’acte, tout en respectant la lettre d’un texte ou d’une décision, est contraire à l’objet ou à la finalité poursuivie par le législateur ou l’auteur de la décision.
Les textes en question s’entendent des lois, des conventions fiscales internationales et, le cas échéant, des textes réglementaires qui en précisent les conditions d’application (décret, arrêté par exemple). Quant aux décisions susceptibles d’être prises en compte, ce sont celles qui, allant au-delà du simple commentaire de la norme, sont de nature à créer du droit. Il peut s’agit de certaines instructions administratives, des réponses ministérielles comportant une interprétation de la loi ou encore des rescrits.
Le critère subjectif : le but principalement ou exclusivement fiscal
Pour écarter un acte allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable, l’administration doit également démontrer qu’il a pour motif principal ou exclusif, selon la procédure engagée par l’administration, d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés.
Qu’il s’agisse de la procédure de droit commun ou de la nouvelle procédure de « mini-abus », l’administration précise qu’éluder ou atténuer les charges fiscales peut notamment consister à réduire une dette d’impôt ou à percevoir indûment un crédit d’impôt ou encore augmenter abusivement une situation déficitaire.
« Motif principal » ou « but exclusivement fiscal » : quelle différence ?
Dans ses commentaires, l’administration fiscale confirme que la notion de motif principal (article L. 64 A du LPF) est, en tant que telle, plus large que la notion de but exclusivement fiscal (article L. 64 du LPF).
Elle signale que, selon les débats parlementaires, les dispositions relatives à la nouvelle procédure prévue à l’article L. 64 A du LPF ont pour objectif d’étendre les dispositions anti-abus concernant l’impôt sur les sociétés (article 205 A du CGI) à l’ensemble de la fiscalité. Par conséquent, elles tendent implicitement à viser avant tout les actes ou les montages liés au monde de l’entreprise qui seraient dépourvus de substance économique au regard de tous les autres impôts, exception faite donc de l’impôt sur les sociétés.
L’administration complète son propos en indiquant que la nouvelle procédure ne s’applique pas dans tous les cas où l’abus peut être caractérisé sur le fondement du droit commun, c’est-à-dire lorsque les effets économiques (patrimoniaux, commerciaux, etc.) sont nuls ou négligeables.
Par voie de conséquence, lorsqu’une opération est susceptible de caractériser un abus de droit sur le fondement du droit commun (but exclusivement fiscal au sens de l’article L. 64 du LPF), l’administration ne pourrait donc pas choisir de se placer sur le terrain du mini-abus de droit prévu à l’article L. 64 A du LPF.
L’administration semble proposer d’examiner le critère du but principalement fiscal selon une approche quantitative visant à comparer l’avantage fiscal et l’avantage non fiscal procurés par une même opération. Une opération procurant un avantage non fiscal négligeable (par exemple, un avantage de trésorerie minime) demeurerait, selon l’administration, dans le champ de l’article L. 64 du LPF.
Par ailleurs, l’administration rappelle et rassure une nouvelle fois que « lorsque c’est le législateur qui a souhaité encourager un schéma par une incitation fiscale, l’article L. 64 A du LPF ne peut en principe pas s’appliquer, quand bien même ce schéma aurait un but principalement fiscal, à condition qu’il ne soit pas manifestement détourné de son objet ».
Illustrations
Pendant les débats parlementaires et à plusieurs reprises après l’adoption de la loi de finances pour 2019, le gouvernement avait tenu à rassurer les conseillers fiscaux, notamment à propos des dispositifs de transmission anticipées de patrimoine couramment utilisées par la profession dans le cadre d’une gestion privée. Tout en rappelant que le législateur a entendu favoriser ces transmissions anticipées, y compris lorsque le donateur se réserve l’usufruit du bien transmis, le gouvernement a explicitement indiqué qu’elles ne sont pas en elles-mêmes concernées par la procédure d’abus de droit prévue à l’article L. 64 A du LPF, sous réserve que les transmissions concernées ne soient pas fictives (Réponse Procaccia, Sénat 13 juin 2019 n° 9965). L’administration fiscale reprend dans sa doctrine la réponse ministérielle et confirme la position des pouvoirs publics sur les montages patrimoniaux en donnant deux autres exemples.
Le premier concerne la donation d’usufruit temporaire au profit d’un enfant majeur qui ne fait pas partie du foyer fiscal du donateur. L’opération procure certes une économie d’impôt sur la fortune immobilière (IFI), qui peut être substantielle, mais qui n’est pas abusive si elle est justifiée par la volonté d’aider l’enfant majeur à financer ses études en lui permettant d’occuper le logement ou de percevoir les revenus locatifs du bien transmis. Le caractère temporaire d’une transmission de l’usufruit n’est pas en soi abusif dès lors qu’il est doté d’une substance patrimoniale effective et ne prévoit pas de clauses manifestement abusives (donation librement révocable par le donateur, notamment).
Le deuxième exemple concerne la donation d’usufruit temporaire à un organisme sans but lucratif. Même si elle permet de réaliser une économie d’impôt très importante, elle n’est pas susceptible d’être écartée sur le fondement de l’article L 64 A du LPF lorsque le donateur se dépouille irrévocablement des fruits attachés à l’actif donné, sur la durée de l’usufruit temporaire. Le donateur poursuit un objectif charitable valable et non négligeable en permettant à l’organisme de bénéficier d’un rendement financier régulier sur la période de l’usufruit (loyers, dividendes).
Bon à savoir |
Même si l’administration ne se prononce pas sur les opérations dites « de donation-cession », qui consistent généralement pour des parents à donner à leurs enfants des titres ou immeubles, avant que ceux-ci ne soient cédés à un tiers en purge de la plus-value de cession, les experts estiment qu’elles ne devraient toutefois pas être poursuivies sur le terrain du mini-abus de droit fiscal. |
Les garanties du contribuable
Le contribuable qui souhaite sécuriser le traitement fiscal d’un acte ou d’une opération peut demander à l’administration la confirmation que le nouveau dispositif anti-abus de l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales ne lui est pas applicable. Il s’agit de la même garantie spécifique de rescrit « abus de droit » prévue dans la procédure de droit commun. Par conséquent, la nouvelle procédure est inapplicable lorsqu’un contribuable, préalablement à la conclusion d’un ou plusieurs actes, a consulté par écrit l’administration fiscale en lui fournissant tous éléments utiles pour apprécier la portée véritable de ces actes, et que celle-ci n’a pas répondu dans un délai de 6 mois ou a confirmé que l’opération présentée ne constituait pas un abus de droit.
Sanctions : pas de pénalités spécifiques automatiques
Contrairement à la procédure de l’abus de droit prévue à l’article L. 64 du LPF, seules les majorations de droit commun sont applicables. Cependant, l’administration pourra, à condition de les justifier au regard des circonstances de fait et de droit propres à chaque affaire, appliquer des pénalités pour insuffisances, omissions ou inexactitudes, aux taux respectifs de 40 % pour manquements délibérés et 80 % pour manœuvres frauduleuses.