Rappel préliminaire
Le mécanisme de rappel fiscal des donations antérieures défini par l’article 784 du Code général des impôts prévoit qu’en cas de donations antérieures consenties par le donateur (ou le défunt) au même bénéficiaire (donataire, héritier ou légataire), la liquidation des droits de donation (ou de succession) est effectuée :
- en ajoutant à la valeur des biens compris dans la donation (ou dans la déclaration de succession) la valeur des biens qui ont fait l’objet de donations antérieures, à l’exception de celles passées depuis plus de 15 ans ;
- et, lorsqu’il y a lieu à application d’un tarif progressif, en considérant ceux de ces biens dont la transmission n’a pas encore été assujettie aux droits de mutation à titre gratuit comme inclus dans les tranches les plus élevées de l’actif imposable.
De la même façon, les abattements sont appliqués déduction faite de ceux dont les intéressés ont bénéficié sur les donations qui leur ont été consenties par le défunt depuis moins de 15 ans.
Les faits
Un père consent des donations de titres au profit de ses trois enfants au moyen de deux actes de donation-partage dressés le même jour devant notaire. Le premier acte ne mentionne pas l’existence d’une donation antérieure ; le second vise la première donation-partage, conformément aux dispositions relatives au rappel fiscal des donations antérieures. Le notaire applique l’abattement en ligne directe prévu à l’article 779, I du CGI à la première donation-partage.
Les deux actes sont déposés par le notaire le lendemain de leur réception auprès du service de l’enregistrement, conformément aux dispositions de l’article 635, 1-1o du CGI qui prévoit que, sauf exception, les actes notariés doivent obligatoirement être enregistrés dans le délai d’un mois à compter de leur date.
Le second acte de donation est enregistré le jour même du dépôt, après paiement immédiat des droits de donation par le notaire, en application des articles 1701 et 1705, 1o du CGI selon lesquels les droits des actes à enregistrer sont acquittés par les notaires, préalablement à l’accomplissement de la formalité.
Le premier acte est enregistré quelques jours plus tard, après instruction et acceptation d’une demande de paiement différé des droits.
L’administration fiscale remet en cause le calcul des droits de donation au motif que l’abattement en ligne directe aurait dû être appliqué dans l’ordre d’enregistrement effectif des actes (soit, en pratique, au titre de la « seconde » donation qui est chronologiquement la première à avoir été enregistrée). Le donateur soutient au contraire que l’abattement doit être appliqué en fonction de la date de présentation des actes à l’enregistrement et, s’ils ont été présentés le même jour, en fonction de leur ordre.
Le donateur obtient gain de cause en première instance, ce que confirme la cour d’appel de Rennes. Pour les juges, il résulte de l’application combinée des articles 635, 1705, 1o et 1701 du CGI qu’il incombe aux notaires de :
- procéder à l’enregistrement de leurs actes ;
- payer les droits d’enregistrement préalablement à la formalité d’enregistrement ;
- calculer les droits, incluant l’abattement, au moment de la demande d’enregistrement afin que les droits soient payés avant l’enregistrement.
Les droits d’enregistrement incluant l’abattement devant être calculés avant l’enregistrement, c’est nécessairement à la date de dépôt de la demande d’enregistrement et non à la date de l’enregistrement qu’il faut se placer pour déterminer leur montant. En conséquence, si deux actes notariés sont dressés le même jour et présentés le même jour à l’enregistrement, l’abattement doit être appliqué au premier acte dressé par le notaire donc à la donation qui ne fait pas état de donations antérieures.
Les juges de la cour d’appel ajoutent également qu’il ne peut pas être déduit des dispositions de l’article 784 du CGI qui énonce que les actes de donation doivent indiquer les dates d’enregistrement des donations antérieures que c’est la date d’enregistrement qui détermine la chronologie des donations successives.
À noter
L’enjeu pour l’administration portait moins sur la détermination du montant des droits de donation lui-même que sur leur exigibilité immédiate. L’arrêt ne détaille pas complètement les montants en jeu mais on peut supposer que les velléités de l’administration fiscale de fixer la chronologie des donations en fonction de l’ordre de leur enregistrement effectif visaient à maximiser le montant des droits exigibles immédiatement (et corollairement à minimiser les droits dont le paiement différé était demandé en raison de l’application de l’abattement à la donation au titre de laquelle la demande de paiement différé est formulée).
En pratique, afin d’éviter tout litige avec l’administration fiscale, il est conseillé au notaire d’horodater les actes de donation entre les mêmes parties lorsqu’ils sont dressés le même jour en son étude.
Source : CA Rennes 10-5-2022 n°20/01018
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