Après une année 2022 difficile pour bon nombre d’investisseurs, il semble pertinent de s’interroger sur les facteurs susceptibles d’induire un retournement sur les différents marchés. Analyse de Johan Van Geeteruyen, CIO Fundamental Equity de Degroof Petercam asset management (DPAM).
Le premier facteur à prendre en compte est évidemment l’inflation. Bien qu’elle paraisse avoir touché son pic, la vitesse de sa décélération ainsi que son écart par rapport à la cible de 2% seront des éléments déterminants. En effet, une inflation structurellement élevée aurait des incidences sur le remboursement des emprunts, le coût du capital et la propension à investir dans certains marchés.
L’un des facteurs déterminants des décisions d’investissement est le prix des actifs. Du fait du retournement des politiques des banques centrales ainsi que de l’augmentation des risques géopolitiques, les actions ont, dans l’ensemble, fortement baissé en 2022. Cependant, à la suite du récent rallye, leurs valorisations ont retrouvé des niveaux d’avant la crise, notamment aux Etats-Unis. En Europe, les actions restent par contre encore très bon marché, une faiblesse qui résulte de la poursuite de la guerre en Ukraine ainsi que de la crise énergétique. Cette situation a incité les investisseurs étrangers à se tourner vers des marchés plus sûrs tels que
les Etats-Unis. Faut-il y voir une fenêtre d’achat ? Cela est probable, mais pas certain.
La liquidité est un autre facteur à prendre en compte. Après une décennie d’abondance et de marchés relativement calmes, l’attitude résolument ferme des banques centrales dans leur lutte contre l’inflation s’est traduite par une hausse de la volatilité. Or, cette dernière s’accompagne en général d’une réduction de la liquidité. L’examen des carnets d’ordres montre d’ailleurs que pratiquement aucune transaction n’est effectuée sur la base des cours d’achat/vente affichés, ce qui paraît logique compte tenu de l’extrême volatilité. Selon une récente analyse du FMI, la liquidité s’est détériorée pour toutes les classes d’actifs, quelle que soit la mesure utilisée, ce qui représente un important défi pour les valorisations.
Afin de mieux comprendre les raisons des baisses de cours observées l’an passé, nous avons décomposé les performances des actions. Or, il apparaît clairement que ces corrections résultent de la compression des multiples et non pas de la diminution des marges bénéficiaires. La croissance de ces dernières reste d’ailleurs très soutenue, à + 5% aux Etats-Unis et à plus de 20% en Europe ! La capacité des entreprises à générer de la trésorerie demeure bonne, ce qui leur permet de distribuer des dividendes élevés.
Reste la question cruciale de savoir si les entreprises pourront maintenir ces fortes marges. Les banques centrales étant censées lutter contre l’inflation, elles auront un impact sur les dépenses. Or, si les dépenses diminuent, il en ira de même pour la demande et, par suite, pour les bénéfices des entreprises. Pour maintenir leurs marges, ces dernières devront accroître leur productivité ou réduire leurs coûts, autrement dit procéder à des licenciements.
Les analystes sont devenus plus prudents, mais les révisions de leurs attentes concernant les bénéfices sont jusqu’à présent marginales alors qu’elles avaient été beaucoup plus marquées lors de précédents ralentissements. Selon le consensus, la croissance du bénéfice par action (BPA) n’a ralenti que de 5,6% aux Etats-Unis et de 5,2% en Europe (données en dollars). Elle devrait donc rester positive en 2023. De telles attentes paraissent trop optimistes pour deux raisons. D’une part, les marges bénéficiaires n’ont jamais été aussi élevées, d’autre part, les indices des directeurs d’achats (PMI) sont en phase de contraction. Par conséquent, même si les taux d’intérêt n’augmentent plus, les cours des actions devraient rester sous pression.
Si l’on examine l’évolution des révisions de bénéfices en fonction du style, il est surprenant de constater que les révisions à la baisse affectent principalement les valeurs de croissance, et ce depuis le commencement de la crise, alors qu’elles n’ont touché les titres de qualité qu’à partir de l’été dernier. Jusqu’à présent, aucun changement n’est à observer du côté des styles substance ou risque faible.
Les flux en direction des marchés actions sont un bon indicateur de la confiance des investisseurs et de leur appétit pour les actifs risqués. Pour l’heure, les craintes dominent et les investisseurs continuent à privilégier les actifs et les marchés les plus sûrs. C’est le cas des Etats-Unis dont la croissance sera moins affectée que celle de l’Europe. Soulignons également qu’outre-Atlantique les investisseurs continuent de passer des fonds actifs aux ETFs, ce qui n’est pas le cas en Europe.
Selon l’adage, il serait nécessaire que les investisseurs donnent des signes de capitulation avant de reprendre à nouveau des risques dans leurs portefeuilles. Il est démontré que les particuliers tendent à agir avec un certain retard, achetant lorsque les marchés approchent de leur plus haut et vendant lorsque ces derniers sont au plus bas. A l’heure actuelle, les institutionnels restent prudents et n’investissent pas dans les actifs risqués (actions et crédit). En revanche, selon le dernier rapport de la Bank of America consacré aux investissements internationaux, les particuliers sont encore investis à plus de 60 % en actions.
De toutes ces observations, il ressort que la chose la plus importante à surveiller est la décélération à long terme de l’inflation de base. En effet, il paraît difficile de se fier à l’évolution des bénéfices ou des liquidités. L’appétit des investisseurs pour le risque est très faible, mais on ne peut pas encore parler de capitulation et le niveau des corrections sur les marchés actions indique que la situation ne devrait pas trop empirer. En fin de compte, la seule transaction qui importe concerne l’inflation. Elle devrait atteindre son creux lorsque les taux grimperont excessivement, un moment qu’il est très difficile d’anticiper avec exactitude.
Concrètement, quel est le sens de ces analyses ? Faut-il attendre que le vent tourne et, entretemps, ignorer les actifs risqués ? Ce n’est pas tout à fait le cas. Chaque crise étant porteuse d’opportunités, il convient d’examiner les actifs les plus durement touchés.
• La Chine pourrait être un joker en 2023, car son économie continue de participer largement à la croissance mondiale. Or, les investisseurs étrangers ayant capitulé, ce marché est très faiblement valorisé, affichant un ratio cours/bénéfice de seulement 11. Cependant, investir en Chine exige d’être très sélectif et de se concentrer sur les entreprises qui disposent de fondamentaux solides. Même si les défis persistent (bien que les présidents Xi Jinping et Jo Biden tentent d’améliorer leurs relations, la question de Taïwan demeure), ce marché recèle un potentiel de surperformance.
• Le reste de l’Asie offre également de multiples opportunités. À elle seule, l’Inde est une locomotive pour l’économie mondiale puisqu’elle devrait représenter 15 % de son PIB d’ici 2050 (20 % pour la Chine). Dans l’ensemble, la région se négocie à 13x les bénéfices, contre 17x pour les Etats-Unis dont la croissance attendue est plus faible. Jusqu’en 2050, des pays tels que le Vietnam et les Philippines devraient connaître une croissance annuelle supérieure à 4% et, de manière générale, la région bénéficiera de la croissance chinoise ainsi que de la démondialisation, notamment de la relocalisation des capitaux des entreprises. Ainsi Apple transfère une partie de sa production de la Chine vers l’Inde, et 40 % de la production d’Adidas se fait déjà au Vietnam. Par ailleurs, dans cette région, les politiques de financement public et des banques centrales sont stables et orthodoxes et un certain nombre de pays ont géré l’inflation de manière proactive.
• Sur le plan sectoriel, il existe des opportunités dans l’immobilier. Dans l’environnement actuel de hausse des taux et de détérioration de l’économie, l’immobilier coté a été plus volatil qu’à son habitude. Son réajustement n’a démarré qu’au second semestre, mais la décote moyenne des titres immobiliers cotés par rapport à leur valeur nette d’inventaire est de 50%. Cela implique une révision de 30% des prix des actifs sous-jacents et représente une hausse de 1,6% du rendement de l’immobilier. Si le marché a raison, les bilans devront être rééquilibrés au travers de réductions des dividendes, de ventes forcées ou encore de ventes de certains droits.
Un certain nombre d’acteurs très endettés s’y refusent encore, mais d’autres, tels que Castellum, TAG Immo et Unibail, agissent déjà dans ce sens. Mais on observe également un certain nombre de transactions qui répondent à des stratégies de croissance (WDP, Montea), ce qui est un facteur positif. Contrairement au marché, nous estimons que l’immobilier coté a déjà réalisé l’essentiel de sa baisse et qu’il est proche de la phase de capitulation. Les nouveaux entrants attendront qu’elle se produise avant de réinvestir sur ce marché.