Pour identifier le bénéficiaire désigné sous le terme « héritier », les juges doivent interpréter la volonté du souscripteur en tenant compte, le cas échéant, des dispositions qu’il a prises par testament : l’héritier peut ainsi s’entendre d’un légataire « à titre universel
Quelques explications préliminaires
En pratique, le souscripteur désigne le plus souvent comme bénéficiaires du contrat d’assurance-vie en cas de décès les personnes qui lui sont proches : son conjoint ou concubin et/ou ses enfants et petits-enfants. Il peut également désigner ses héritiers au sens large.
Le bénéfice d’un contrat d’assurance-vie en cas de décès peut ainsi être attribué à une ou plusieurs personnes qui, sans être nommément désignées, sont suffisamment définies pour pouvoir être identifiées au moment de l’exigibilité du capital ou de la rente garantis : héritiers, en particulier.
Lorsque la clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie fait uniquement référence aux « héritiers », les tribunaux ne doivent pas s’attacher exclusivement :
- ni à l’acception du terme héritier dans le langage courant ;
- ni à la définition de ce terme en droit des successions.
Les juges doivent rechercher la volonté du souscripteur, son intention, y compris quant à la répartition du capital garanti. Et là, tout dépend des circonstances d’espèce.
Pour information le legs à titre universel est celui par lequel le défunt lègue une quote-part de ses biens,
soit tous ses meubles, soit tous ses immeubles, soit une quote-part déterminée des meubles ou des immeubles, soit l’usufruit de tout ou d’une quote-part de la succession (C. civ. art. 1010).
Illustration avec des faits qui ont été récemment soumis à l’appréciation des juges
Une femme ayant deux enfants institue par testament olographe sa fille légataire de la moitié de la quotité disponible et sa petite-fille, fille de son fils, légataire de l’autre moitié. Elle est ensuite placée sous tutelle et sa fille est désignée tutrice. Cette dernière, sur autorisation du juge des tutelles, souscrit au nom de sa mère un contrat d’assurance-vie : la clause bénéficiaire indique « mes héritiers ».
Au décès de l’intéressée, l’assureur verse les capitaux selon la répartition suivante :
- 1/2 pour la fille (soit 1/3 au titre de sa réserve + 1/6 au titre de la moitié de la quotité disponible) ;
- 1/3 pour le fils (soit 1/3 au titre de sa réserve) ;
- et 1/6 pour la petite-fille (soit 1/6 au titre de la moitié de la quotité disponible).
Le fils conteste, estimant que sa fille, légataire à titre universel, ne saurait être assimilée à un héritier.
La décision de la Cour de cassation : il faut rechercher la volonté du souscripteur
La Cour de cassation rejette la demande du fils :
- le capital ou la rente garantis peuvent être payables lors du décès de l’assuré à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés (C. ass. art. L 132-8, al. 1) ;
- est considérée comme faite au profit de bénéficiaires déterminés la désignation, comme bénéficiaires, des héritiers ou ayants droit de l’assuré (C. ass. art. L 132-8, al. 2, 3 et 5) ;
- les héritiers, ainsi désignés, ont droit au bénéfice de l’assurance en proportion de leurs parts héréditaires et conservent ce droit en cas de renonciation à la succession (C. ass. art. L 132-8, al. 7).
Pour identifier le bénéficiaire désigné sous le terme « héritier », qui peut s’entendre d’un légataire à titre universel, il appartient aux juges du fond d’interpréter souverainement la volonté du souscripteur, en prenant en considération, le cas échéant, son testament.
À noter :
- en l’espèce, l’intéressée avait, en désignant par testament olographe ses héritiers et en précisant la part revenant à chacun d’eux, formalisé ses volontés avant son placement en tutelle et la souscription du contrat d’assurance-vie ;
- les juges du fond ont apprécié souverainement la volonté de la défunte et en ont déduit que le capital devait être réparti entre ses héritiers légaux et ses légataires à titre universel.
Conclusion
Confirmation de jurisprudence. Pour identifier le bénéficiaire en présence d’une clause désignant « mes héritiers », les juges doivent rechercher et analyser la volonté du souscripteur « sans s’attacher exclusivement ni à l’acception du terme héritier dans le langage courant ni à la définition de ce terme en droit des successions » (Cass. 2e civ. 14-12-2017 n° 16-27.206 F-D). Dans cet arrêt, il avait été jugé que le souscripteur défunt avait entendu désigner le légataire universel. Pareille recherche de la volonté
du souscripteur s’impose également pour répartir le capital entre les bénéficiaires « héritiers ». Sont ainsi censurés les juges qui, au motif du caractère hors succession de l’assurance-vie, ont refusé de prendre en compte le legs de la quotité disponible à un des héritiers et de répartir les capitaux entre eux sur la base de leurs droits déterminés par les dispositions testamentaires (Cass. 1e civ. 19-9-2018 n° 17-23.568 FS-PB).
Dans l’affaire ici commentée, le requérant invoquait l’autorisation donnée par le juge des tutelles à l’adoption de la clause bénéficiaire « mes héritiers » pour circonscrire ce terme aux seuls successeurs désignés par la loi. La Cour de cassation ne retient pas l’argument : quand bien même le juge des tutelles a autorisé la souscription de l’assurance-vie au bénéfice des « héritiers », il appartient aux juges d’interpréter la volonté du souscripteur en tenant compte, le cas échéant, des dispositions qu’il a prises antérieurement par testament.
Sachez que différents modèles de clauses bénéficiaires existent. Pour autant de multiples possibilités vous sont offertes. Afin d’opter pour une solution pleinement adaptée à vos objectifs, il convient de recueillir les conseils de votre conseiller.
Source :
Cass. 1e civ. 30-9-2020 n° 19-11.187 FS-PB
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